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Guillaume Abdi ©
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INSTALLATION D’UNE PERSPECTIVE.

UN DEVENIR VEGETAL.


Lorsqu’on a proposé à G. ABDI les trois espaces du centre d'art contemporain de Châtellerault, deux salles jouxtées et un hall d’entrée, elles étaient pour lui les coordonnées en fonction desquelles et avec lesquelles il a travaillé,lui, le sculpteur ou mieux le volumineur. Quant à moi, la situation d’origine est différente : une œuvre y est apparue, et je propose des mots pour m’y installer. Je serai donc le temps de quelques lignes une sorte de volumineur en mots. Pour dire les faits, je suis venu avec G. ABDI une semaine avant ces lignes sur les lieux afin qu’il me présente son installation. On a commencé par les deux salles donnant sur une cour intérieure. Je fais de même ici, autrement. Les monades sont décidément sans portes ni fenêtres.


A l’entrée des deux salles, je découvre une prolifération de polyèdres dont chaque face est un hexagone. Ils sont tous de la même taille, 40-50 cm de hauteur et de largeur. Tout de suite m’apparaît qu’ils sont une végétation d’une même espèce, en panneau de particules peint en partie de blanc. Certaines formes poussent jusqu’au plafond et cherchent visiblement le passage à l’étage supérieur. D’autres, moins hautes, sont faites d’un, deux ou trois modules empilés verticalement. D’autres encore, sur la gauche de l’entrée, prolifèrent au sol. Cela me donne l’impression d’un vivarium de plantes géométriques. Ca pousse, ça grimpe, ça se répand, et la main de l’homme a façonné dans cette étoffe vivante un chemin, couronné d’une haie du même végétal pentagonal, qui mène droit à l’autre salle. A ce moment mon regard est attiré par le sol, un parquet en chevrons, qui est, c’est l’évidence maintenant, une autre végétation géométrique, humus de la première. Et tout dans cette salle se met à fonctionner végétalement : les deux portes et leurs carrés décoratifs, le plafond et sa rosace, ainsi que sa moulure. Les végétaux autochtones accueillent ceux disposés par G. Abdi, ou révèlent leur présence.


J’ai choisi de continuer mon parcours en passant par la droite du dispositif pentagonal, même si j’aurais pu céder à l’invitation du portique de plantes grimpantes formant aubade. Je découvre que la lumière passant par les fenêtres fertilise ces plantes d’un type nouveau, suscitant des parcours horizontaux à différentes hauteurs. Et je m’aperçois, en regardant au dehors par une des fenêtres que la métamorphose continue : là où je voyais à l’extérieur dans une cour intérieure un mur en pierres de taille régulières et blanches, je vois maintenant sans effort d’imagination une autre espèce végétale également géométrique. On a l’idée d’un milieu, d’un biotope, où le blanc est une des formes de l’adaptation. On se prendrait pour un savant botaniste en milieu d’exubérance morphologique. Je suis frappé, en progressant dans ce milieu comme un explorateur par le calme de cette luxuriance : rien d’oppressant, rien d’envahissant, mais plutôt une forme porteuse pour celui qui s’y déplace. Les formes au sol sont proches de celles de pots de fleur : la plante fait son habitat, et l’habitat est l’être même. Le vivant est géomètre.


Une réflexion me prend : de quoi suis-je fait, moi ? Suis-je du végétal d’une certaine forme ? Je me souviens d’une formule : ADN.


J’arrive maintenant dans la deuxième salle : là, au centre, un polyèdre d’un mètre de haut environ, formé des mêmes modules que précédemment, mais le blanc a cédé la place au noir. Ce n’est plus le même parquet non plus : les chevrons ont laissé place à des lames rectilignes et plus foncées. Autre humus, autre végétation. Je me demande si cette nouvelle structure n’est pas une souche, et le témoignage des anciens bois semblent signalés par les vis bien visibles et régulièrement distribuées. Comme un bois sec, autre phase de la vie. L’aspect penché de la structure donne une nouvelle forme d’offrande, de salut, à celui qui la fréquente.


Sur la gauche, grimpant au mur à partir d’un encadrement de porte, une autre forme, mais identiquement constituée, grimpe au mur, comme une applique vivante. Elle donne l’impression d’être nouvelle, fraîche, éclose tout récemment.

En sortant, devenu certainement en quelque part végétal moi-même, et ce n’est pas le moins considérant ma nouvelle proximité avec ce qui auparavant me semblait encore bien étranger, je découvre la structure présente dans le hall d’entrée, cinq colonnes dont la hauteur varie entre 50 cm et environ 5 mètres. On y retrouve la forme de base, le pentagone en bois aggloméré, peint en partie de blanc. Et c’est une nouvelle plante qui apparaît, sorte de palmier tronc. Il y a un titre, « 5 colonnes ». En effet, à partir d’1m 50 du sol environ, les structures apparaissent taillées dans la pierre, retrouvant un mode presque ancien de l’art mais en dessous de cette limite, chaque colonne semble un beau tronc d’arbre d’espèce exotique. Ne sommes-nous pas dans un hall d’entrée, avec ces plantes souvent un peu tropicales d’apparat ? D’ailleurs la plus petite des colonnes donne lieu à un vrai spectacle lorsqu’on se penche sur son intérieur et on y chercherait presque un parapluie. On se croyait dans la pierre, et le végétal est décidément partout. Ses métamorphoses sont notre élément. Je me souviens que la première structure avait pour titre : « Sans titre (la géométrie des possibles) ». Maintenant, je pense que G. Abdi a écrit une nouvelle logique du vivant, un jeu des possibles ou, c’est la même chose ici, a imaginé une nécessité du hasard pour paraphraser des oeuvres célèbres.


Bruno Sarry
Septembre 2013,
in Catalogue exposition "Prix Marguerite Moreau 2013", Centre d'Art Contemporain Chatellerault.